Pittoresque Liechtenstein
Au cours de la première moitié du siècle passé,
le poète Clément Brentano écrivait à sa
«grand-mère» Marianne von Willemer: «J'ai
aimé le petit pays de Vaduz dès monjeune âge,
à cause de son nom étrange, et sans savoir
vraiment où il était situé; je n’ai pas non plus
posé de question, car je ne voulais pas devoir
abandonner l’un de ces rêves qui nous aident à
mieux avaler les amères pilules de la réalité.
Vaduz est pour moi le pays de tous les trésors,
de tous les secrets et de tous les joyaux, c’est là
que se trouve pour moi le pays de Thulé, où le
roi avant de mourir a précipité sa coupe la plus
précieuse dans les flots.»
Brentano n’est pas le seul à qui ce petit pays ait
offert l’asile, même s’il ne s’agit là que d’un
asile moral. L'avocat des pauvres: Siebenkäs
personnage de l’écrivain Jean Paul, a trouvé à
Vaduz son refuge secret, et malgré toute sa
volonté de se retirer du monde, la lettre de son
amie abandonnée: Natalie, a fini par l’y re-
joindre «au bout de six mois. Cet évènement
s’est produit un beau matin d’hiver, alors que
les montagnes blanches couvertes de forêts
scintillant comme des cristaux, s’éveillaient
dans les premiers éclats rougeoyants du soleil
et que les ailes de l’aube, déployées depuis
quelque temps déjà, s’étendaient sur la terre.»
Et puis c’est Hermann Hesse qui au tournant
du siècle a suivi les traces de l’avocat des pau-
vres, sans les retrouver, ainsi il a passé la jour-
née à rêver sous de «vieux et hauts sapins» au
bord d’un «grand étang vert sombre», près du
château princier.
À son tour quarante ans plus tard, l’écrivain
suisse Hermann Hiltbrunner est venu dans
notre pays peu avant la fin de la seconde guerre
mondiale; il y a trouvé son «Orplid», son île
de paix, un état de type rural, où la politique
ae jouait aucun rôle, parce que les habitants y
vivaient dans un état de tranquillité et de satis-
faction parfaits.
Où ce Liechtenstein pittoresque et paradi-
siaque a-t-il disparu aujourd’hui? Certes, jadis
il ne ressemblait pas autant au paradis que ses
admirateurs étrangers ont bien voulu le dire.
Sur les routes principales, — il y a quelques
dizaines d'années encore, elles appartenaient
aux vaches qui s’y promenaient avec noncha-
.ence — les voitures se pressent et le centre de
Vaduz est devenu le champ de foire estival des
touristes, un lieu où poulets, coqs et coqueri-
cos n’ont plus rien à faire, un lieu où le pauvre
Firmin Siebenkäs a vainement cherché refuge
et où il a fallu ouvrir à la circulation les alpages
et les montagnes.
Le Liechtenstein pittoresque existe-t-il? Ce
n’est pas le touriste pressé qui doit remplir son
pensum estival de visites qui le trouvera.
Quant au skieur pour qui la vitesse sur les
pentes neigeuses de la vallée de Malbun est
plus importante que le calme d’une forêt
hivernale enneigée, il ne le découvrira pas non
plus. Mais ce Liechtenstein pittoresque, qui
pour nous est synonyme de beauté tranquille
et de calme existe vraiment. C’est loin des
grandes routes que nous allons à rencontre,
en plaine aussi bien qu’en montagne, dans les
prés, entre les forêts et dans les recoins des vil-
lages retirés. Mais il faut disposer de temps
pour découvrir les beautés cachées et pour se
laisser pénétrer par de telles impressions. Il
faut disposer d’yeux bien entraînés pour
rester attaché au paysage, même par temps de
pluie, ou pour pouvoir voir et sentir l’atmo-
sphère mystérieuse d’un jour de brouillard.
C’est peut-être dans ce qu’il y a de plus caché
que nous trouvons encore quelques parcelles
de ce monde intact auquel nous aspirons plus
que jamais, à une époque où les problèmes de
l’environnement nous guettent à chaque
instant; c’est quelque part dans ce monde
caché que vit au pays de Vaduz l’aïeule de
Brentano, gardant sa part de bijoux de la cou-
ronne; c’est là que Firmin Siebenkäs trouve
cefuge; Hermann Hesse pourrait à son tour ÿ
retrouver ses rêves désintéressés, quant à Her
mann Hiltbrunner il pourrait y retrouver
cette atmosphère qu’il a décrite dans son
poème en prose sur le Liechtenstein.